Sur la spatialisation des nombres

Les mathématiques modernes construisent des représentations spatiales à l'aide de coordonnées (sous le concept d'espace vectoriel ou de droite munie d'un repère (origine, unité)). Introduites en 1637 par Descartes dans La Géométrie, les coordonnées ont été renovées :

  • en 1781 par la Critique de la Raison Pure d'Emmanuel Kant (qui a décrit leur demeure)
  • en 1898 par Des fondements de la géométrie d'Henri Poincaré (qui a proposé une interprétation dynamique et algébrique de la spatialité des nombres)
  • en 2002 par le Cognitive-Theoretic Model of the Universe de Christopher Langan (dont le concept d'inclusion descriptive symétrise la relation entre la coordonnée et la droite).

Aucune de ces innovations ne sont intégrées dans les cursus mathématiques usuels.  En d'autres termes, la spatialisation des mathématiques modernes a un retard de 3 siècles ! Spatialiserlesmaths.org supporte la thèse de l'Espace mathématique énoncée ci-après :

Emmanuel Kant

L'Espace d'après Immanuel Kant

1) L'espace n'est pas un concept empirique dérivé d'intuitions extérieures. Car pour que certaines sensations soient rapportées à quelque chose d'extérieur à moi (c'est-à-dire à quelque chose qui est dans un lieu de l'espace différent de celui que j'occupe), et même pour que je puisse me représenter les choses comme extérieures les unes aux autres, c'est-à-dire non seulement comme différentes mais comme occupant des lieux distincts, la représentation de l'espace doit déjà être posée en principe. D'où il suit que la représentation de l'espace ne peut dériver des rapports du phénomène extérieur par l'expérience, mais bien que l'expérience elle-même n'est jamais possible que par cette représentation.

2) L'espace est une représentation nécessaire à priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures. On ne peut jamais concevoir qu'il n'y ait aucun espace, quoiqu'on puisse fort bien penser qu'aucun objet n'y est contenu. L'espace est donc considéré comme la condition de la possibilité des phénomènes, et non comme une détermination qui en dépende. C'est donc une représentation à priori qui est le fondement nécessaire des phénomènes extérieurs.

3) Cette nécessité à priori est le fondement de la certitude apodictique de tous les principes géométriques et la raison de la possibilité de leur construction à priori. Si cette représentation de l'espace était un concept acquis à posteriori, qui résultât de l'expérience générale extérieure, les premiers principes de la détermination mathématique ne seraient plus que des perceptions. Ils en auraient par conséquent toute la contingence, et il ne serait dès lors pas nécessaire qu'il n'y ait qu'une seule droite entre deux points, l'expérience le ferait toujours voir. Ce qui est emprunté de l'expérience n'a qu'une universalité comparative, c'est-à-dire une universalité par induction. Tout ce qu'on qu'on pourrait dire, c'est que jusqu'ici on n'a trouvé aucun espace qui eût plus de trois dimensions.

4) L'espace n'est pas non plus un concept discursif, ou, comme on dit, un concept des rapports des choses en général, mais une intuition pure. Car d'abord, on ne peut se représenter qu'un seul espace; et quand on parle de plusieurs espaces, on entend seulement par là les parties d'un seul et même espace. Ces parties ne pourraient même pas précéder l'espace unique et universel, comme parties d'un tout qu'elles serviraient à composer par leur ensemble; elle ne peuvent, au contraire, être conçues qu'en lui. L'espace est essentiellement un ; le multiple en lui, par conséquent aussi le concept général d'espace, tient uniquement à des limitations. D'où il suit qu'une intuition à priori qui n'est pas empirique, sert de fondement à tous les concepts que nous en avons. C'est ainsi que tous les principes de géométrie, par exemple, Deux côtés d'un triangle pris ensemble sont plus grands que le troisième, ne seront jamais dérivés avec une certitude apodictique des concepts généraux de ligne et de triangle, mais de l'intuition, et d'une intuition à priori.

5) L'espace est représenté comme une grandeur infinie donnée. Un concept général d'espace (qui est commun au pied et à l'aune) ne peut rien déterminer sous le rapport de la quantité. Sans l'illimitation dans le progrès de l'intuition, nul concept de rapport n'emporterait un principe de l'infinité de cette intuition.

Immanuel Kant, Critique de la Raison Pure, 1ère édition, 1781
Théorie Élémentaire transcendentale, Esthétique transcendantale, I. De L'Espace, 
 

Kant et les mathématiques modernes

Le divorce de l'espace de Kant avec l'espace physique a été prononcé en 1915 par la théorie de la relativité générale d'Einstein. La consécration de la géométrie non euclidienne dans la théorie du réel rejette la possibilité d'une forme pure d'intuition arrangeant la spatialité des phénomènes sous l'espace kantien. Malgré cet échec historique, l'espace de Kant reste un domaine d'intuition compatible avec les mathématiques modernes dans le domaine : - des nombres réels ; - des fonctions réelles ; - des nombres complexes. Dans ce contexte, l'espace de Kant devient la composante Spatiale de la représentation des nombres et fonctions. En particulier, l'espace de Kant représente parfaitement les coordonnées des représentations statiques usuelles ainsi que le Temps spatialisé de la physique newtonienne.

L'Espace d'après Henri Poincaré

"Nos sensations ne peuvent pas nous donner la notion d'espace. Cette notion est construite par l'esprit avec des éléments qui préexistent en lui, et l'expérience externe n'est pour lui que l'occasion d'exercer ce pouvoir, ou au plus un moyen de déterminer la meilleure manière de l'exercer."

"L'espace sensible n'a rien de commun avec l'espace géométrique. Je crois que peu de personnes seront disposées à contester cette assertion. Il serait peut-être possible d'épurer la catégorie que j'ai considérée au début de cet article et de construire quelque chose qui ressemblât davantage à l'espace géométrique. Mais, quoi que nous fassions, l'espace ainsi construit ne serait jamais ni infini, ni homogène, ni isotrope ; il ne pourrait le devenir qu'en cessant d'être accessible à nos sens. Nos représentations ne sont que la reproduction de nos sensations ; nous ne pouvons donc pas figurer l'espace géométrique. Nous ne pouvons pas nous représenter les objets dans l'espace géométrique, mais seulement raisonner sur eux comme s'ils existaient dans cet espace."

"Il est évident que si nous considérons un changement A et le faisons suivre d'un autre changement B, nous sommes libres de regarder l'ensemble des deux changements A suivi de B comme un seul changement qui peut s'écrire A+B et peut être appelé le changement résultant. (Il va sans dire que A+B n'est pas nécessairement identique à B+A). Il en résulte alors que si deux changements A et B sont des déplacements, le changement A+B est aussi un déplacement. Les mathématiciens expriment cela en disant que l'ensemble des déplacements forme un groupe. S'il n'en était pas ainsi il n'y aurait pas de géométrie."

"En résumé, les lois en question ne nous sont pas imposées par la nature, mais sont imposées par nous à la nature. Mais si nous les imposons à la nature, c'est parce qu'elle nous permet de le faire. Si elle offrait trop de résistance, nous chercherions dans notre arsenal une autre forme qui serait pour elle plus acceptable."

"Ce premier fait que les déplacements forment un groupe, contient en germe une foule de conséquences importantes. L'espace doit être homogène ; c'est-à-dire que tous ses points sont capables de jouer le même rôle. L'espace doit être isotrope ; c'est-à-dire que toutes les directions qui partent du même point doivent jouer le même rôle. [...] Étant homogène il sera illimité ; car une catégorie qui est limitée ne saurait être homogène puisque ses frontières ne pourraient pas jouer le même rôle que son centre. Mais cela ne veut pas dire qu'il est infini ; car la sphère est une surface sans frontière et cependant elle est finie."

"Nous pouvons supposer que chaque déplacement fait partie d'un faisceau formé de tous les multiples d'un certain petit déplacement, beaucoup trop petit pour être perçu par nous. [...] Nous pouvons supposer enfin que notre faisceau est parfaitement continu. Tous ses déplacements sont échangeables. A chaque nombre commensurable ou incommensurable correspond un déplacement et vice versa. Le déplacement correspondant au nombre na n'est pas autre chose que le déplacement correspondant au nombre a répété n fois."

"Considérons deux déplacements D et D'. Soit D'' un troisième déplacement défini comme la résultante du déplacement D', suivi du déplacement D, suivi lui-même du déplacement inverse de D'. Nous appellerons ce déplacement D'' le transformé de D par D'/ Du point de vue formel tous les transformés du même déplacement sont en quelque sorte équivalents; ils jouent le même rôle; les Allemands disent qu'ils sont gleichberechtigt. Les transformés de tous les déplacements d'un sous-groupe g par le même déplacement D' forment un nouveau sous-groupe que nous appellerons le transformé du sous-groupe g par le déplacement D'. Les différents transformés du même sous-groupe, jouant le même rôle au point de vue formel, sont gleichberechtigt.

Il arrive généralement que beaucoup des transformés du même sous-groupe sont identiques; il arrivera même quelquefois que tous les transformés d'un sous-groupe soient identiques les uns aux autres et identiques au sous-groupe primitif. On dit alors que ce sous-groupe est invariant (ce qui arrive, par exemple, dans le cas du sous-groupe formé de toutes les translations). L'existence d'un sous-groupe invariant est une propriété formelle de la plus haute importance."

"Un corps solide ayant un point fixe tourne devant nos yeux. Son image se peint sur notre rétine et chacune des fibres du nerf optique nous transmet une impression; mais à cause du mouvement du corps solide cette impression est variable [...] L'ensemble des déplacements qui conservent ainsi un système donné de sensations forme évidemment un sous-groupe que nous pouvons appeler sous-groupe rotatif."

"A côté du sous-groupe rotatif, considérons ses transformés qui peuvent aussi être appelés sous-groupes rotatifs. (Sous-groupe de rotations autour d'un point fixe.) Par de nouvelles expériences, toujours très grossières, il apparaît alors:
1 - Que deux sous-groupes rotatifs quelconques ont des déplacements communs;
2 - Que ces déplacements communs, tous échangeables entre eux, forment un faisceau qui peut être appelé faisceau rotatif. (Rotations autour d'un axe fixe).
3 - Qu'un faisceau rotatif quelconque fait partie non seulement de deux sous-groupes rotatifs, mais d'une infinité.
C'est là l'origine de la notion de ligne droite comme le sous-groupe rotatif était l'origine de la notion de point."

"Avec ces propositions, nous [ne] sommes [pas] en mesure [...] de construire la géométrie d'Euclide,  [...] nous avons besoin d'une nouvelle proposition qui prenne la place du postulatum des parallèles. La proposition qui en tiendra lieu sera l'affirmation de l'existence d'un sous-groupe invariant dont tous les déplacements sont échangeables et qui est formé de toutes les translations."

Henri Poincaré, Des fondements de la géométrie, 1898
Extraits choisis

Poincaré et les mathématiques modernes

Poincaré, s'opposant à l'espace a priori de Kant, conçoit qu'il algèbrise librement l'espace (à l'aide de son entendement) dans le but de reproduire et modéliser l'espace sensible. La spatialité de l'algèbre de Poincaré est hautement compatible avec les mathématiques formelles modernes qui conservent la notion de groupe. Malheureusement, les mathématiques modernes ne se spatialisent pas explicitement et perdent de nombreuses propriétés et analogies (exemple : faisceau, continuité, groupe rotatif, transformé d'un élément, groupe invariant, etc...). En outre, les représentations spatiales usuelles  des mathématiques modernes s'appuient sur la notion d'espace vectoriel, et donc s'appuient sur les mêmes notions de coordonnées cartésiennes ( origine et vecteur muni d'une longueur unité rigide) que Poincaré remplace par de l'algèbre spatialisé. Le formalisme de Poincaré est toujours dans les mathématiques modernes mais sa spatialisation a disparu. Poincaré a une conception dynamique de l'Espace, analogue à divers Temps (rotatifs ou translatifs) vérifiant certaines propriétés formelles. Pour marier pleinement l'espace de Poincaré à la spatialisation des mathématiques modernes, plutôt que d'opposer l'algèbre à l'espace rigide de Kant et Descartes, il s'agit de les coupler.

Thèse de l'Espace mathématique

spatialiserlesmaths.org supporte la thèse de l'Espace mathématique qui s'énonce comme suit :

  • Immanuel Kant a décrit l'Espace mathématique, a priori, infini, homogène, isotrope - propre à la cognition humaine.
  • L'identification kantienne de l'Espace mathématique avec l'espace physique est une erreur historique.
  • Henri Poincaré a modernisé la spatialisation des nombres, concevant l'Espace comme divers Temps (rotatifs ou translatifs) vérifiant certaines propriétés formelles.
  • L'utilisation exclusive de l'épistémologie de l'espace physique par Poincaré est une erreur historique. L'espace de Kant, en plus d'être la demeure des coordonnées, annule le besoin d'un Temps translatif (car une grandeur infinie donnée est librement partionnée)
  • Spatialiser l'analyse réelle et Essai sur la construction des nombres complexes restaurent le lien entre les mathématiques modernes et l'Espace mathématique (en temporalisant adéquatement ce dernier).


Sous sa forme la plus faible, la thèse de l'Espace mathématique pose que la description théorique de l'espace de représentation des objets mathématiques est importante pour certains profils cognitifs et/ou certaines tâches - et gagne à étendre l'espace kantien.

Sous sa forme la plus littérale, la thèse de l'Espace mathématique pose que le langage spatial est un don de Dieu révélant les nombres (et la Théologie) indépendamment de l'espace physique.

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